J’ai été témoin d’un accident.
Ce soir, en sortant d’un campus, j’attendais nerveusement Mister T. dans le froid en faisant les cent pas. Il fait nuit, il pleut, et la rue est mal éclairée. De loin, je vois les phares d’une voiture s’approcher, mais je sais que ce n’est pas celle de Mister T. puisque la sienne a un phare plus faible que l’autre. C’est d’ailleurs comme ça que je le repère de loin. Je continue à faire les cent pas en marchant dans l’autre sens, en cherchant mes gants en cuir enfouis dans ma poche. D’un seul coup, j’entends dans mon dos un énorme BOOM. Enfin, c’était un bruit assez indescriptible, j’hésitai entre un pneu éclaté et une commode balancée depuis le 1er étage d’un immeuble. Je me retourne et j’ai juste le temps de voir un corps faire un quadruple salto au-dessus du capot d’une voiture. La voiture que j’avais vu arriver de loin.
Mon sang n’a fait qu’un tour. Je cours vers la victime allongée sur le sol, le conducteur sort en catastrophe sans même éteindre le moteur, et un autre témoin arrive sur le côté. Je réalise à peine ce qui vient de se passer. C’est une jeune étudiante en jean et baskets, elle a encore son sac à dos fermement accroché aux épaules. Le pare-brise de la voiture est complètement explosé, il ressemble à une immense toile d’araignée. L’autre témoin et moi avons le réflexe d’hurler au conducteur de ne pas toucher au corps de la victime, afin d’éviter tout geste fatal. Sans réfléchir, j’ai déja le téléphone en main, je dévérouille en tremblant ce foutu clavier et je compose le 18. Le message d’accueil semble interminable, une fois en français, puis une fois en anglais. Enfin un pompier répond au bout du fil, mais les mots ont du mal à sortir de ma bouche.
« Il y a eu un accident grave, juste en face de l’arrêt de tram machintruc, entre Carrefour et l’IUT … ». Je débite des phrases au kilomètre, je m’embrouille, car le chauffeur et l’autre témoin me parlent en même temps. Mon interlocuteur me demande si je me trouve à Caen. « Ouiii, on est à Caen!!! ». J’avais oublié de dire l’essentiel alors que ça me semblait évident. Puis on me passe un médecin du SAMU, à qui je dois répéter la même chose, avec des détails sur la victime. Je n’ose même pas l’approcher, rien qu’à la vue du sang sur les mains du chauffard. D’autres badauds arrivent, quelqu’un ouvre son parapluie au-dessus de la fille pour la protéger de la pluie. Je ne voyais que ses jambes bouger. Elle était consciente, heureusement. Je suis obligée de demander des informations aux personnes autour d’elle pour renseigner le médecin. Puis on me passe encore un autre médecin urgentiste, et rebelote, je dois tout répéter. Quand il raccroche, j’entends déja la sirène des pompiers. On leur fait signe de loin sous les lampadaires tels des pantins désarticulés. On se recule tous pour laisser place aux professionnels. Mister T. arrive, il vient juste de réaliser le drame qui vient de se jouer. Je lui demande de ramasser l’une des chaussures que la fille a perdu dans le choc, 10 m plus loin, sur les lieux de l’impact.
J’essaie de me rassurer en voyant qu’elle arrive à parler, malgré le traumatisme à la tête. J’échange mon numéro avec celui du conducteur, qui l’enregistre sur son I-Phone dernier cri. Tout ce qu’il m’a dit, c’est qu’elle s’appelait Maureen et qu’elle venait de Lisieux. Nous repartons le coeur serré, totalement choqués, et sur le retour on croise le chemin d’un fourgon de police.
Je ne sais pas comment ça va se dénouer. De son côté, elle avait traversé la route hors des passages piétons, à un endroit faiblement éclairé par les lampadaires jaunâtres. Il faisait sombre, il pleuvait et à 19h il y a moins de fréquentation en général. Et du côté du chauffeur, il s’agissait d’une voie étroite séparée par des îlots au milieu. Longeant le campus, il était évident que la vitesse doit être restreinte à 20 km/h tout au plus. Or, vu la violence du choc, je me demandais bien à quelle allure roulait la voiture…
Si je ne me suis pas approchée plus que ça de la victime, ce n’était pas par lâcheté ou la peur du sang. C’est juste qu’il m’était arrivé exactement la même chose il y a deux ans, à Nouméa. Comme Maureen, j’ai été percutée par une voiture assez gravement, ce qui m’a valu un traumatisme crânien et des vertèbres déplacées. Mais le vrai choc, ce fut lors de ma sortie à l’hôpital. J’avais tout fait pour éviter mon reflet dans les vitres des nombreuses fenêtres et portes qui peuvent exister dans un service d’urgences. Car d’après les médecins, j’étais sacrément amochée au visage. Mais en remplissant les paperasse de sortie, je me suis vue dans le miroir accrochée derrière la secrétaire. C’est là que j’ai réalisé ce qui m’était arrivé. Et ce reflet blessé, je ne voulais pas le revoir dans le visage de celle qui venait de vivre l’horreur pour une seconde d’inattention.
Je vous en supplie, si vous lisez ce message, pensez à traverser sur les passages piétons et surtout regardez des 2 côtés avant! Il suffit d’une seconde pour voir sa vie basculer.
ton témoignage est très touchant et émouvant. C’est vrai qu’en une seconde la vie peut basculer. Je travaille en réducation avec de nombreux accidentés de la route c’est flagrant comme ca peut arriver vite…
Bonne journée.